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Le jeu vidéo doit-il tout se permettre ?

18-PEGI

C’est pour beaucoup une vérité : le jeu vidéo est un Art. Pas simplement parce qu’il nécessite un savoir-faire, mais parce qu’il véhicule émotions, histoires et idées. Un art à part entière, avec ses artistes et ses œuvres majeures. Mais alors, le jeu vidéo peut-il parler de tous les sujets ? Etre violent, choquant, polémique ? Après un E3 particulièrement gore (Merci notamment Last of Us part II), j’essaye de répondre à quelques questions. Après lecture, je vous invite d’ailleurs à me répondre et à ouvrir le débat.

Le jeu video peut-il tout se permettre ?

Il est aisé de répondre par l’affirmative à cette question, tant cela glorifie le média. Le jeu vidéo serait donc suffisamment mature et universel pour aborder tous les thèmes. Violence, religion, abus, polémiques : le jeu vidéo est donc en passe de devenir un format propice aux sujets politiques, à la dénonciation et autres questions de société. C’est d’ailleurs le combat et le propos de bien des commentateurs de cette industrie.

Pourtant, deux dimensions me semblent absentes dans la réflexion globale : le public et la nature même du jeu vidéo. Non, je ne vais pas relancer une polémique sur la définition du Jeu vidéo. Nous prendrons pour acquis que le JV existe dès qu’il y a interaction entre un humain et un écran. Est-il un art ? Nous supposerons qu’il est en effet le 10ème art, comme le laisse supposer l’évolution des arts à partir de la liste de Étienne Souriau. Les jeux Quantic Dream sont donc pleinement des Jeux vidéo. Au même titre que les expériences narratives ou les jeux mobile d’ailleurs.

Être l’acteur d’un viol est-il en être l’auteur ?

Le jeu vidéo, à la différence de tout autre art, permet au joueur de prendre part à l’action. Non pas de l’imaginer ou d’y assister, comme dans un roman ou devant un film, mais d’en être au centre. Par son action, le joueur influence la manière dont les événements se réalisent. Comme si le lecteur pouvait personnaliser les pages d’un roman en y intégrant des éléments de sa psyché comme dénominateur de l’action – approche violente ou furtive, rapide ou plus posée, réfléchie ou instinctive – ou du récit – liberté de réaliser la quête principale et/ou quêtes secondaires, archives, cassettes audios ou autre support donnant plus de corps à l’histoire étant généralement optionnels. Et ce n’est franchement pas un détail.

S’il est assez commun désormais de laisser le choix aux joueurs de la vie ou de la mort de personnages virtuels, il est plus délicat de marier liberté d’action et sujets délicats ou réalisme exacerbé. Viol, inceste, violence conjugale, religion, terrorisme, racisme, maladie, transsexualité, comportements déviant, etc, sont autant de sujets quasiment inexistants dans le JV. De même que l’ultra violence « réaliste » n’est pour le moment pas monnaie courante dans les grandes licences.

Quiet-MGSV

Quiet et sa tenue. Tout un scandale

Et pour cause ! Comment donner du pouvoir au joueur quand il s’agit non pas de parler mais de « jouer » un viol ? Comment donner du pouvoir sur un sujet si difficile ? Rappelons-nous à ce propos les polémiques autour de Quiet, personnage féminin de Metal Gear Solid V. À peine était-elle dévoilée qu’instincts primaires, féminisme, sexisme et incompréhension s’étaient rapidement emparés d’elle. Sans même s’intéresser au propos qu’elle pouvait éventuellement servir. Une œuvre était jugée avant même d’être consommée, comprise, preuve que le sujet est sensible, même lorsqu’il est à peine évoqué.

Regarder n’est pas jouer

Poursuivons d’ailleurs avec MGS V. Ici, vous pouvez jouer sans faire de mort ou, au contraire, décider d’employer la manière forte pour toutes les missions du jeu… sauf quand il s’agit d’enfants. Impossible en effet de tuer des enfants soldats quand bien même cela pouvait se justifier scénaristiquement.

Le jeu pouvait-il se le permettre ? Assurément. Le devait-il ? Probablement pas et il est difficile de reprocher ce choix à Kojima. Une nouvelle fois, comment « banaliser » une telle action ? Comment donner du pouvoir au joueur si c’est pour lui permettre de réaliser un des pires crimes imaginables : tuer un enfant ? Même le cinéma ou la littérature, arts bien plus anciens et rodés à ces sujets, usent bien souvent de suggestions pour traiter ces instants dramatiques.

QuanticDream-SDF

Quelques séquences fortes mais incapables de faire réfléchir le joueur sur notre monde

Le travail de David Cage et ses équipes est ici également intéressant. Leurs jeux mettent en avant une narration forte en limitant les possibilités du joueur. Résultat : pas de dérapage possible. Toutes les possibilités sont cadrées sans moyen de détourner l’intention des développeurs. Des sujets forts (la perte d’un enfant, l’adolescence, le rejet, la pauvreté) mais pas tabous ou polémiques. Et surtout pas, ou peu, joués. De l’émotion plus qu’une réflexion. Du moins pour l’immense majorité des consommateurs. Et cela fait le pont avec l’autre dimension qu’il est indispensable de jauger : le public.

Les joueurs, ces ados de l’Entertainment.

Si le jeu vidéo est très jeune en comparaison aux autres arts, c’est encore plus vrai concernant les joueurs. La consommation populaire du média a commencé à peu près en même temps que la ps2. C’est en effet Sony qui a réussi, avec un marketing et un discours extrêmement efficaces, à faire passer le JV dans le salon de beaucoup de famille et à faire exploser la moyenne d’âge des acheteurs. Il y a donc moins de 20 ans. 20 ans seulement que le grand public découvre, collectivement, ce média qui n’a de cesse d’évoluer. C’est terriblement peu.

Combien d’années de débats a-t-il fallu pour que l’opinion collective change sur l’homosexualité ? Sur le réchauffement climatique ? Combien de combats dont certains perdus à des prix extrêmement élevés ? Combien de manifestations et de recherches scientifiques pour faire admettre que le réchauffement climatique est un sujet essentiel ? Bien plus que 20 courtes années.

20 ans c’est à peine le temps de structurer les couches de consommateurs (hardcore, core, casuals, etc) et de comprendre à peu près leurs attentes, leurs habitudes. 20 ans c’est le temps qu’il aura fallu à Bungie pour créer 8 jeux « seulement ». Là où des joueurs avertis, ayant une curiosité manifeste à l’adresse des JV, désireux d’apprendre et de se nourrir de ce média y voient un art, l’immense majorité n’est autre qu’un public « jeune » (de par son expérience) qui consomme le média pour sa raison première : s’amuser, se distraire, faire dans le jeu ce qu’il n’est pas possible de faire ailleurs. Une espèce d’immaturité à percevoir le JV pour autre chose que le jeu. Des ados en somme.

Une évolution délicate

D’un côté des sujets complexes, polémiques, sociétaux, que des états vieux de plusieurs centaines d’années ont peine à faire évoluer. De l’autre, une population en pleine adolescence (au regard de sa maturité) qui joue essentiellement par plaisir. Pensez-vous vraiment que traiter tous les sujets sans exception soit judicieux ? Ne risque-t-on pas de laisser le public sur le côté ? Ou de le voir cannibaliser l’idée première pour finalement n’en garder qu’un jus fade, voire dégoûtant pour certains ? Repenser à Quiet : la majorité des joueurs ont-ils vu l’opportunité d’assouvir quelques fantasmes peu avouables ou ont-ils perçu la noirceur de l’âme humaine et l’intention de Kojima ? Personnellement je pense que beaucoup ont simplement vu une bimbo aguichante qu’ils aimeraient rencontrer « IRL ». Bien évidemment ce n’est probablement pas votre cas, à vous, lecteur de ce papier, mais représentez-vous vraisemblablement l’immense majorité des joueurs ?

L’idée selon laquelle le JV doit tout se permettre est une utopie à laquelle j’adhère par principe. Mais dans les faits, et pour en servir au plus juste la cause, il appartient aux créateurs d’accompagner les joueurs, étape par étape. Il est nécessaire que la production d’œuvres soit réalisée en apportant les clés de leur compréhension aux joueurs. En prenant le temps de se montrer pédagogues, les développeurs réussiront à emporter une partie du public avec eux et à le rendre plus mature. Ce sera un travail long et difficile et céder à quelques facilités commerciales sera l’assurance de laisser échapper l’art et la culture du média à d’autres, qui œuvreront loin d’un public trop peu exigeant. Oui, c’est aux développeurs de réussir à accompagner une douce transition qui permettra de faire du jeu vidéo non seulement du jeu, mais aussi un art engagé.

Les limites sont faites pour être dépassées

Pour illustrer ce dernier propos, abordons le cas The Last Of Us Part II. Le trailer de la PGW 2017 avait fait polémique et ouvert de nombreux débats. Entre réalisme, violence exacerbée et absence de prévention ou de contexte, nombreux sont ceux à avoir commenté cette scène. Et la question de la présence d’une telle brutalité dans un média qui s’appelle « jeu » pose en effet question. Surtout lorsqu’elle est accessible aux plus jeunes sans aucune alerte en amont (PEGI ou avertissement). Et a fortiori dans un contexte où le média n’est déjà pas épargné par la vindicte populaire (addiction, troubles, faiseurs de meurtrier, et j’en passe).

last-of-us-part-II

La fin de cette séquence : violence ou sadisme ?

Naughty Dog a bien entendu le bruit ambiant. Malgré cela, les équipes ont choisi de maintenir la pression il y a quelques semaines lors de l’E3 avec une scène incroyablement violente qui laisse penser que le joueur sera véritablement acteur des pires actes imaginables. Le scénario du jeu justifiera probablement l’attitude de Elie. Dans un monde où l’homme devient un animal et un danger pour lui-même, il est compréhensible que des comportements brutaux dominent. Elie a probablement vécu des horreurs (viol ? meurtre de proches ? violences ?) qui l’amènent à de tels actes. Justifier cela ne sera pas difficile. Ce n’est d’ailleurs même pas vraiment la question.

Ce qui fait parler tient davantage de la mise en scène. Et il sera d’ailleurs bien plus difficile de la justifier. Intense et viscérale, jusqu’à voir les boyaux d’un homme sortir de son corps ou percevoir toute la résistance d’une nuque face à une lame mal aiguisée. Comment et pourquoi insister autant sur ce réalisme. Pour la prouesse ou pour le message ? Nous ne le savons pas encore mais l’attente est immense.

De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités

Les projecteurs sont donc maintenant braqués sur ND. S’il s’avère que le contenu global, et notamment l’intention sous-jacente, justifient ce déferlement de violence et que les joueurs de tout horizon sont capables d’en saisir le message, alors le média sera tiré vers le haut. Joueurs avertis, commentateurs ou simples passionnés applaudiront collectivement. Mais si, à contrario, il s’agit de soigner une image « cool », faussement mâture parce que violente, alors Naugthy Dogs sera passé à côté d’une opportunité unique de redéfinir le paysage vidéoludique tant l’attente et l’aura autour du jeu sont sans commune mesure.

A eux donc de faire ce qui doit être fait et non pas ce qui peut être fait. L’éducation ne saurait se faire sans bon professeur.

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