Moon Studios s’est fait connaître ces dernières années à travers sa superbe série de jeux Ori. Les deux titres ont en effet séduit de nombreux joueurs à travers le monde grâce à leur univers onirique et envoutant. Malheureusement, une récente enquête menée auprès de ses salariés laisse apparaître une réalité bien plus sombre. Celle d’un studio toxique où le harcèlement moral est monnaie courante.
Un humour lourdingue mêlé de racisme ordinaire
C’est dans un article particulièrement dense et détaillé que Dean Takahashi dépeint une atmosphère de travail insoupçonnée. Plusieurs développeurs, passés par ou encore en poste chez Moon Studios, critiquent en effet vivement la culture du studio et notamment les pratiques de management. Ses fondateurs, Thomas Mahler et Gennadiy Korol sont ainsi très largement pointés du doigt, accusés notamment de maltraiter les équipes et d’entretenir une atmosphère particulièrement “oppressante”.
Avec environ 80 salariés répartis dans plus de 40 pays, Moon Studios ne fonctionne qu’avec du travail à distance. Cette organisation induit nécessairement de très nombreux échanges via des outils de messagerie instantanée, mais également par conférence audio. Deux canaux de communication qui se veulent “ouverts et spontanés” et qui sont devenus le théâtre d’abus et de harcèlement. Plusieurs témoignages soulignent ainsi l’humour particulier des deux leaders du studio, qui n’hésitent pas à partager des “blagues” qui ne sont pas du goût de tous.
“Tyler est la seule personne au courant de mes plans diaboliques pour tuer les Juifs en les faisant travailler jusqu’à la mort sur du développement de jeux” peut-on ainsi lire dans l’article de Venture Beat avant d’apprendre qu’il est courant que des allusions à la taille de leur sexe soient faites sur des canaux collectifs. Des commentaires sur “l’apparence des femmes” sont aussi fait avec le tact et l’intelligence d’un “enfant de 12 ans qui ferait des blagues sur votre mère” rapporte un développeur.
Bien sûr, les gens vont et viennent, mais il y a le fait qu’un grand nombre de personnes ne sont pas restées. Je pense que beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas supporter la toxicité, le racisme occasionnel, et plus encore. Il y a beaucoup trop de blagues juives occasionnelles. Nous parlons d’un chat général d’entreprise, et ces mêmes types de blagues sont en train de se dérouler. Ce n’est pas acceptable.
La fin justifie les moyens
Mais cela n’est qu’une partie de l’enfer que vivent les employés. Plusieurs d’entre eux accusent en effet Thomas Mahler d’être parfaitement incompétent lorsqu’il s’agit de transmettre des informations ou son avis sur un travail réalisé. “Ses retours se résument à : C’est de la merde” révèle un témoignage. Et un autre de confier que “Thomas n’est pas capable de sensibiliser quelqu’un sur ce qu’il faut faire de mieux. Il les met dans une situation impossible”.
Des fondateurs particulièrement talentueux pour donner vie à une vision créative, mais beaucoup moins pour gérer leurs effectifs. C’est d’ailleurs le sens des propos de cet ancien développeur :
Dans leur tête, [ces directeurs de création] ont construit ces mondes phénoménaux. Et lorsqu’ils briefent quelqu’un, ils ne se rendent pas compte que les gens autour d’eux n’ont pas tout à fait compris et qu’ils ont trop peur de dire qu’ils n’ont pas compris. […] La personne s’en va et se demande avec angoisse ce qu’elle est censée faire. Elle a l’impression qu’elle va se faire fusiller si elle pose la question. Ces [leaders] créatifs n’ont pas appris l’art de se poser et de communiquer de manière efficace.
Et plus largement, la capacité de Moon Studio à prendre soin de l’humain est présentée comme nulle. Le turnover y est particulièrement important et semble être la conséquence directe de la toxicité du studio. Certains développeurs se disent écœurés par leur passage au sein des effectifs au point d’avoir “perdu ma passion pour mon travail parce qu’ils me l’ont enlevée”. Et alors que les créateurs d’Ori poursuivent leurs recrutements, grâce aux promesses de primes élevées et de créer des jeux parmi les plus appréciés au monde, ces témoignages veulent révéler l’envers du décor. “Je veux éviter que d’autres personnes ne tombent fondamentalement dans ce piège”.
En fin de compte, tout ce qui les intéresse est la qualité du produit, ce qui signifie que c’est probablement l’entreprise que j’ai vue qui se soucie le moins de ses employés En général, tout est au service de l’amélioration du produit. Donc s’ils sont très durs avec vous, qu’ils ne mâchent pas leurs mots, qu’ils ne sont pas réceptifs, qu’ils ne sont pas respectueux dans la conversation, qu’ils se moquent de vos mots, qu’ils se foutent de vous, et que vous devez faire mieux, c’est au service du plus grand bien, qui est de rendre le jeu meilleur.
Une fin de relation avec Microsoft
Il est important de souligner également de rares commentaires plus mesurés dans l’article dans Venture Beat. Un développeur souligne ainsi que Thomas Mahler est quelqu’un d’adorable en vrai mais qu’il se transforme complètement lors des échanges en ligne. Comme si, à l’image de certains utilisateurs de forums ou de réseaux sociaux, être derrière un écran rendait les actions moins graves et leur portée moins grande.
Cependant, l’écho de cette situation arrive jusqu’aux oreilles de Microsoft. Partenaire pendant près de dix ans, le constructeur a en effet plusieurs échanges houleux avec les fondateurs du studio. Entre retards de livraison et hausses d’enveloppe budgétaire les relations semblent avoir toujours été difficiles. Mais plusieurs développeurs estiment que la firme américaine était au courant en partie du management toxique au sein de Moon. C’est d’ailleurs, en partie du moins, pour cette raison que les deux entités mettent fin à leur relation, d’un commun accord.
Un scénario qui est appuyé par les propos de Jez Corden. Le journaliste de Windows Central corrobore en effet l’enquête de Dean Takahashi et assure que Microsoft a pris ses distances de Moon du fait de cette culture d’entreprise désastreuse. Sur Twitter il précise également que les fondateurs de Moon auraient eu un comportement agressif et déplacé envers des employés de Xbox.
I can corroborate much of @deantak‘s reporting on Moon Studios. I was told Moon founders resorted to personal attacks/bullying towards Xbox’s teams, burned all bridges.
Spoke with @Rand_al_Thor_19 on Xbox Two that I didn’t think MS would work with Moon again, this stuff is why. https://t.co/mm8Ax5298b
— jez (@JezCorden) March 18, 2022
La réponse de Moon Studios
Après l’enquête de Venture Beat, le journal a proposé aux fondateurs du studio un droit de réponse. Ces derniers ont profité de la publication de l’article pour réagir aux nombreux témoignages recueillis par Dean Takahashi. Voici leur réponse.
“Nous ne pensons pas que les expériences suggérées par vos questions soient représentatives des plus de 80 membres de l’équipe Moon Studios qui s’épanouissent et font un excellent travail chaque jour – et nous ne pensons pas non plus qu’elles soient représentatives des expériences des anciens membres de notre équipe. En fait, nous sommes très fiers de notre histoire qui consiste à rendre les gens heureux, à faire progresser leur carrière et à contribuer à leur réussite financière.
Nous avons construit Moon Studios en partant d’un principe simple. Premièrement, nous voulions créer un studio distribué qui ne soit pas limité par des frontières géographiques, ce qui nous permet d’attirer les meilleurs talents du monde entier. Ensuite, nous voulions favoriser une culture dynamique où notre équipe s’épanouit et fournit le meilleur travail de notre secteur. Enfin, dès le premier jour, nous avons décidé de partager les bénéfices et les récompenses de nos efforts avec l’ensemble de l’équipe. Nous pensons que nous avons réussi.
Ce qui rend notre équipe si puissante, c’est sa diversité mondiale et culturelle – les membres de l’équipe travaillent dans plus de 40 pays différents sur quatre continents – et la structure horizontale du studio qui permet à chacun de s’exprimer honnêtement et directement, de se mettre au défi et de se pousser à faire le meilleur travail possible. Nous avons délibérément entrepris de créer un studio d’un genre différent, qui encourage la créativité, la communication ouverte, la collaboration et la performance.
Il en résulte deux jeux primés – et d’autres à l’horizon – et une équipe de professionnels qui aiment travailler ensemble, excellent et innovent dans notre secteur, tout en partageant le succès financier de Moon Studios. Si nous sommes parfois brutalement directs dans nos critiques et nos défis, nous sommes aussi sincères et bruyants dans nos louanges. Nous sommes incroyablement fiers de tout ce que nous avons construit et réalisé ensemble.
Enfin, nous apprécions l’ironie du fait que nous – un Autrichien et un Juif israélien – avons lancé cette entreprise multiculturelle. Nous nous considérons mutuellement comme des frères. Et, comme des frères, nous nous disputons parfois et nous nous taquinons fréquemment. Nous avons fait des blagues à nos dépens sur nos différences d’origine – et il est arrivé que nos taquineries aient été perçues comme insensibles et aient mis les autres mal à l’aise.
Moon Studios a prospéré pendant 12 ans. Nous avons grandi et appris tant de choses au cours de toutes ces années. Nous avons eu le privilège de travailler avec beaucoup, beaucoup de personnes formidables et extrêmement talentueuses. Nous sommes vraiment reconnaissants et fiers de notre équipe – ceux qui sont ici aujourd’hui ainsi que ceux qui ont passé du temps chez Moon et qui sont depuis passés à d’autres entreprises – et nous sommes heureux d’avoir créé un changement positif dans leur vie. Nous ne sommes pas parfaits, mais nous sommes très attachés à nos talents et nous nous efforçons constamment de nous améliorer. Si nous avons déjà mis quelqu’un mal à l’aise ou laissé tomber quelqu’un – nous le regrettons et nous nous efforcerons toujours de faire mieux.”
– Thomas Mahler et Gennadiy Korol
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