Il y a peine un mois, un syndicat français déposait une plainte contre Ubisoft pour harcèlement institutionnalisé. Aujourd’hui c’est au tour du studio de Singapour d’être dans la tourmente. Le site “The Straits Time” nous apprend que l’agence gouvernementale Tafep (Tripartite Alliance for Fair and Progressive Employment Practices) déclare avoir reçu, le 23 juillet, plusieurs témoignages anonymes. Ces derniers dénoncent des faits de harcèlement et de discrimination ayant eu lieu chez Ubisoft Singapour. Les témoins ont aussi fourni à l’association plusieurs articles de presse traitant d’allégations visant le studio. La Tafep a pour but de veiller sur les conditions de travail et de promouvoir l’équité. Et qu’il s’agisse d’égalité salariale ou des conditions de travail chez l’éditeur français, rien ne semble aller.
Paie et couleur de peau
Le studio situé dans la cité-Etat insulaire au sud de la Malaisie compte plus de 500 employés aujourd’hui. Environ 40% des postes d’expert et d’expert senior sont occupés par des Singapouriens ou des résidents permanents. Ce qui signifie que la majorité des experts viennent de l’étranger dont certains de France. Hors, selon des témoignages recueillis par Kotaku il existerait de fortes disparités entre les “catégories” d’employés. Les Singapouriens serait payés en dessous du salaire minimum pratiqué dans l’entreprise. Les différences salariales entre les locaux et les expatriés à poste égal vont de 5 000$ à 10 000$ par an .
Certains ont alors décidé de se plaindre de ces disparités. Les RH ont expliqué que cela était dû aux différents niveaux d’expérience. Certains se livrèrent même à des explications pour le moins stupéfiantes. Un témoin affirme qu’un responsable a justifié ces inégalités par le fait que les jeunes singapouriens seraient plus susceptibles de vivre chez leurs parents et pourraient donc se passer d’augmentations. Mais selon certains employés, les raisons de ces différences sont plus profondes, plus perverses.
Parmi les membres interrogés beaucoup évoquent un «plafond français» chez Ubisoft Singapour. Cela sous entend qu’il est plus difficile de réussir pour les non Français et les non francophones. La communication lors des réunions en est un exemple. Même si les meetings sont généralement tenus en anglais, il serait courant que certains posent des questions ou entament des conversations parallèles en français. Récemment certains ont pu constater des améliorations à ce sujet mais les différences hiérarchiques et salariales semblent persister.
Ubisoft et harcèlement sexuel, une histoire qui ne date pas d’hier et des coupables toujours présents
Il y a un an presque jour pour jour, nous publiions un article sur les allégations de harcèlement et d’agression sexuelle au sein des différents sites d’Ubisoft à travers le monde. Le studio de Singapour était déjà gangrené par ces problèmes. En novembre 2020 Hugues Ricour, accusé de harcèlement et d’agression sexuelle, était démis de ses fonctions de directeur des opérations. Cependant à la surprise générale, il ne fût pas renvoyé. La direction décida simplement de le muter à Paris où il occupe actuellement les mêmes fonctions qu’à Singapour. Ce n’est malheureusement pas le seul exemple. Une ancienne développeuse victime en 2018 de harcèlement sexuel raconte à Kotaku sa douloureuse expérience avec un ancien manager.
Alors qu’elle sortait d’un ascenseur avec ledit manager, ce dernier s’est mis à lui toucher les épaules de manière inattendue.
En fait, je lui ai crié dessus, j’ai dit :” Ne me touche pas, arrête! ” Et puis il s’est arrêté, mais il m’a suivie jusqu’à mon bureau et a continué à essayer d’attirer mon attention. J’utilisais mon téléphone et j’envoyais des textos à mon petit ami pour essayer de le faire partir, mais il continua et dit : « À qui envoies-tu des textos? Qui est plus important que moi ? »
Malgré cet incident ce manager revenait régulièrement dans le bureau de sa victime pour lui toucher les épaules, en s’approchant d’elle par derrière. Elle décida alors d’en informer les représentants des ressources humaines mais leur réaction ne fût pas celle escomptée. Ces derniers prétextèrent d’abord un langage corporel inadapté, une mauvaise communication dûe aux différences culturelles de la personne incriminée. Cependant une enquête interne de plusieurs mois fût menée par les RH, mais encore une fois le résultat s’avéra décevant. La direction adressa au coupable un simple avertissement formel et lui dispensa une formation obligatoire sur la sensibilité culturelle.
La victime décida de contester de cette décision et fut finalement transférée dans un autre bâtiment. Il aura fallu au total 9 mois pour que la victime ne soit plus en contact avec son agresseur. Malgré cette affaire, la société au lieu de le sanctionner, envoya à plusieurs reprises ce manager harceleur à la plus grande conférence de jeux vidéos d’Europe, la GamesCom.
De l’irresponsabilité à la complicité il n’y a qu’un pas
Ces faits son corroborés par plusieurs actuels et anciens développeurs. Ces derniers déclarent que lorsque les faits de harcèlement sexuel se sont produits, les RH ont semblé chercher à cacher ces affaires sous le tapis. Ce comportement, à rebours des récentes déclarations de la direction, n’a fait qu’entretenir la défiance des victimes envers leur hiérarchie.
Le 6 août, lors d’une conférence de Presse, le directeur général d’Ubisoft Singapour, Darryl Long questionné sur ces allégations déclara :
Il est très important que nous puissions parler de ces choses et que nous reconnaissions ce qui se passe actuellement dans notre industrie… Nous devons commencer à changer la façon dont nous sommes perçus et la façon dont nous agissons également en interne. Je comprends qu’Ubisoft Singapour a été mentionné dans les médias ces derniers temps … Je reconnais que le studio a connu des défis au cours de la dernière décennie. Cependant il reste encore du travail à faire sur notre culture de studio.
Long a affirmé avoir engagé une agence tierce pour examiner les plaintes, il a ajouté “prendre des mesures concrètes pour formaliser la façon dont sont traités les comportements inappropriés”.
Et au vu des sanctions pénales prévues pour de tels agissements à Singapour, on peut comprendre que Darryl Long souhaite régler cela en interne. Mais il est peu probable que cela satisfasse tous les parties.
Des sanctions potentiellement cinglantes
Chargée de surveiller et de poursuivre les institutions délictueuses, la Tafep dispose d’un certain nombre de moyens afin de régler ce genre de situation. Dans des cas de harcèlement, les employeurs peuvent être contraints de mener une enquête par le biais d’entretiens avec les parties concernées et les témoins, et d’examiner les preuves documentées. La Tafep peut également leur demander de mettre en œuvre de nouvelles politiques pour prévenir de futurs incidents. L’organisme a d’ores et déjà décidé d’ouvrir une enquête. Mais il semblerait que cette fois-ci l’agence ne souhaite pas que ces problèmes soient réglés de façon interne.
Au vu de l’historique du studio et des témoignages, l’organisme a directement appelé toute personne ayant connaissances des faits de harcèlement ou d’agression sexuelle à immédiatement prévenir la police. Amolat Singh (avocat) précise que si l’inconduite sexuelle implique des infractions pénales telles que des attentats à la pudeur, la police sera tenue d’enquêter. Les personnes reconnues coupables peuvent être condamnées à une amende et/ou à une peine de prison. Dans certains cas les condamnés peuvent même recevoir un châtiment corporel. Oui, à Singapour les coups de canne sont non seulement légaux mais ils sont couramment utilisés comme sanction.
Dans un autre registre, la discrimination sur le lieu de travail peut aussi entraîner d’importantes sanctions pour l’entreprise. Si les accusations de discrimination s’avèrent exactes, cela constituerait une violation du droit du travail. Si tel est le cas, l’équivalent du Ministère du Travail local pourrait empêcher Ubisoft d’obtenir de nouveaux permis de travail pour le personnel étranger et de renouveler ceux existants pendant 12 à 24 mois. Cela impacterait 60% des postes d’experts et d’experts senior du studio.
Crime et châtiment
Qu’il s’agisse d’Ubisoft, d’Activision Blizzard, de Quantic Dream ou d’autres, tous ont promis des mesures qui se révèlent aussi inadaptées qu’inefficaces. Comment faire confiance à une direction qui continue d’employer certains harceleurs ? Le bon sens ne voudrait-il pas que les compagnies se portent partie civile ? Les employeurs se doivent de soutenir les victimes de tels agissements. Les cas de harcèlement sexuel, de discrimination, de racisme se multiplient. Les témoignages s’accumulent et de nouveaux scandales éclatent presque chaque semaine. Les promesses de mesures et autres programmes semblent complètement dépassées face à l’ampleur du désastre.
Si les coups de canne peuvent paraître excessifs, il serait tout de même temps de frapper fort. Les dépôts de plaintes doivent devenir la norme et ce sont les juges qui doivent désormais trancher ces questions. Même si de plus en plus de personnes osent témoigner, beaucoup trop restent silencieuses. Si vous aussi vous avez été victimes de ce genre de comportement et que vous souhaitez témoigner de manière anonyme ou non, n’hésitez pas à nous contacter, l’équipe d’XboxSquad sera à votre écoute.
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