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Activision-Blizzard : la tempête judiciaire lève le voile sur Blizzard

Le scandale qui frappe actuellement l’un des plus gros studios au monde n’en finit plus de grossir. Si la procédure judiciaire cible l’ensemble de la société, la majeure partie des plaintes concernent Blizzard. La division pourtant régulièrement classée parmi les meilleurs endroits où travailler s’avèrerait être un véritable nid de guêpes.

Jason Schreier a recueilli pour Bloomberg le témoignage de 50 actuels et anciens employés. Si certains ont choisi de conserver leur anonymat, d’autres n’ont pas hésité à dévoiler leurs identités. Bizutages, humiliations, attouchements, diffamations, le tout sur fond de plaintes auprès des ressources humaines restant lettres mortes.

Alors comment l’entreprise en est-elle arrivée là ? Comment cela a-t-il pu passer inaperçu pendant autant d’années ? Serait-ce la fusion avec Vivendi Games pour créer Activision-Blizzard en 2008 qui aurait créé cette ambiance toxique ? Ou le mal aurait-il toujours habité les studios à l’origine de « World of Warcraft » ?

Nous allons essayer d’y voir plus clair dans cette affaire aussi sombre que scandaleuse.

Blizzard l’histoire de nerds devenus RockStars

Fondée en 1991 par Allen Adham, Mike Morhaime et Frank Pearce, la société est alors uniquement composée d’hommes. À cette époque, le studio ressemble plus à un groupe d’adolescents introvertis qu’à une confrérie. Un témoignage fait état de bureaux dont les murs étaient décorés de posters de femmes en « petite tenue ». L’employée rappelle que les personnages féminins créés à cette époque sont aussi très peu vêtus et souvent dotés de fortes poitrines.

Après avoir réalisé des portages de jeux, les développeurs commencent à créer leurs propres licences avec The Lost Viking puis Rock N’ Roll Racing. Mais c’est en 1994 avec Warcraft: Orcs and Humans que l’équipe trouve enfin le filon. Grace à la sortie de Warcraft II : Tides of Darkness en 1995, Blizzard voit sa popularité exploser. Avec plus de 1,2 million d’exemplaires vendus en neuf mois, la société compte désormais parmi les poids lourds de l’industrie. À l’occasion des dix ans de l’entreprise en 2001, une vidéo présente la première employée de Blizzard. Ses collègues hommes la qualifie alors de « sœur au rire facile » pour ne pas dire niaise.

Christine Brownell, employée chez Blizzard de 2003 à 2005, déclare quant à elle n’avoir jamais subi de harcèlement. Cependant elle affirme qu’avec le succès fulgurant de World of Warcraft certains collègues ont commencé à changer. Avec des primes de participation équivalent à leurs salaires, des voitures de luxe ont soudainement envahi le parking. Brownell déclare :

« Leurs égos occupaient toute la place. Ils ne pensaient qu’à eux même et à ce qu’ils avaient accompli »

Et ce ne sont pas les conventions organisées par la compagnie qui vont arranger les choses.

Blizcon

Le phénomène Blizzcon

En 2004 les studios sortent ce qui va s’avérer être le plus gros MMORPG de tous les temps : World of Warcraft. La critique et le public sont unanimes, c’est un carton plein. En 2005, ce sont plus de 4 000 fans qui participent à la première « BlizzCon« . C’est un véritable succès, les Offspring clôturent le tout, le show fait son effet. En 2010, ce sont plus de 20 000 fans qui se bousculent au portillon. On enregistre même 40 000 participants en 2018.

Malgré la présence de légendes comme Metallica, Muse ou encore Tenacious D, les seules stars véritablement adulées sont les développeurs. Pour certains employés de Blizzard, les femmes présentes lors de ces conventions ne sont ni plus ni moins que des groupies. Un cadre supérieur va même déclarer à un groupe du personnel que les jeunes femmes, fans et collègues, les considèrent comme des superstars, alors pourquoi ne devraient-ils pas en profiter sexuellement.

Christina Mikkonen, une ancienne employée entre 2013 et 2019 témoigne aussi dans ce sens :

«Ils ont des légions de fans qui pullulent autour d’eux simplement parce qu’ils sont des figures connues dans la communauté. Et ils abusent de leur influence pour profiter de leurs fans et de leurs collègues »

D’autres membres du personnel évoquent le fait qu’il fallait éviter à tout prix le bar de l’hôtel Hilton près de la salle des congrès afin de ne pas être harcelées par leurs collègues ivres.

Et en parlant d’hôtel, difficile de ne pas évoquer la tristement célèbre « suite Cosby« . La chambre aurait été nommée ainsi par les employés de la compagnie à cause de sa tapisserie qui ressemblait aux pulls du comédien Bill Cosby. Cependant une photo datée de 2013 montre plusieurs employés dans cette chambre brandissant fièrement le portrait du comédien alors déjà accusé d’avoir drogué et violé plusieurs victimes.
Blizzard cosby suite
Alors faut-il y voir une apologie de ce prédateur sexuel et de ses méthodes ? Ou s’agit-il simplement d’une plaisanterie autour des pulls à motifs de l’acteur ? En tous les cas, ce qui se passe dans cette sinistre chambre n’a strictement rien de comique. C’est dans cette chambre que l’ancien directeur créatif, Alex Afrasiabi est accusé d’avoir agressé des femmes.
Alex Afrasiabi
Ce genre d’agissements était parfaitement connu au sein de la direction. Certains e-mail internes conseillaient même aux employés de, je cite :

« Ne pas « s’embrouiller » avec des fans dans la suite exécutive. »

Une directive absolument abjecte.

Cette starification marque un véritable tournant chez Blizzard. Les conséquences ne se limitaient malheureusement pas qu’aux conventions comme en témoigne Mikkonen :

« Ces développeurs étaient intouchables. Non seulement ils pouvaient vous dire comment faire votre travail, mais ils avaient tellement de pouvoir qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils souhaitaient sans aucune crainte des conséquences grâce à leurs puissantes relations »

Cela expliquerait peut-être pourquoi la direction ait attendu 2020 pour licencier Afrasiabi pour des faits remontant pourtant à 2013. Plus on avance dans cette sordide affaire et plus la question des responsabilités se fait impérieuse. Ce genre de pratique n’a pu se dérouler sans la complicité et la complaisance de certains responsables. Les récentes accusations parlent de faits d’une extrême gravité ayant eu lieu au sein même de l’entreprise. Il paraît donc plus que légitime d’exiger des comptes auprès des directions.

Des excuses à foison mais toujours pas d’explication

Robert Kotick
Il a fallu plus d’une semaine et une pétition de 2 600 signataires pour que Robert Kotick réagisse. Malgré cela, les promesses et les excuses du directeur n’ont pas semblé rassurer les salariés. L’ancien CEO et co-fondateur de Blizzard a quant à lui dégainé plus vite. À peine trois jours après que le scandale éclata, Mike Morhaime décida de s’exprimer via un TwitLonger.

Dans sa déclaration, il présente ses excuses auprès de ses anciennes employées et déclare qu’il souhaiterait entendre leur histoire. Peut-être un peu tard Mike…
L’ancien responsable poursuit :

« Le fait que tant de femmes aient été maltraitées et n’aient pas été soutenues signifie que nous les avons laissées tomber »

Il semble effectivement que ce soit bien le cas. Malgré les multiples plaintes et rapports, Morhaime n’a jamais pris les mesures nécessaires. Et il est impossible qu’il n’ait pas eu vent des drames qui se déroulaient sous sa responsabilité.
Mike Morhaime
Comme s’il avait senti le vent tourner, le 3 octobre 2018 il quitte le navire Blizzard avant la tempête. Il faut dire que les problèmes en interne sont de plus en plus compliqués à ignorer. D’ailleurs, un évènement particulièrement troublant a lieu quelques mois avant sa démission.

Un matin d’été 2018, Morhaime envoie un e-mail à tous les employés afin de les informer que la société se séparait de Ben Kilgore sans plus d’explications. Directeur du département technologique, Kilgore était pourtant censé succéder à Morhaime. Alors que s’est-il passé ?

Selon cinq témoins, Derek Ingalls qui travaillait sous les ordres de Kilgore, aurait tenté de donner une explication lors d’une grande réunion du personnel. Ingalls essaya de résumer la situation en une espèce de recommandation :

« Ne couchez pas avec votre assistante. Mais si vous couchez avec, alors ne la quittez pas »

Difficile de faire plus diffamant et dégradant comme déclaration. On imagine aisément les conséquences et l’impact que ce genre de déclaration peuvent générer. Plusieurs témoins confirment le fait qu’un représentant du personnel était présent lors de cette réunion et n’a pas daigné dire quoi que ce soit. Alors que le bon sens aurait dicté de sanctionner l’auteur de tel propos, Ingalls fut au contraire promu. Nommé chef du département technologique, poste autrefois occupé par Kilgore, il quittera la société en 2019 pour une place chez Amazon.

Malgré de nombreuses sollicitations, ni Ingalls ni Morhaime n’ont souhaité s’exprimer sur cette réunion de 2018. Il en est de même pour Kilgore qui refuse toutes les sollicitations concernant ce sujet. Pas très étonnant pour cet ex-employé de Microsoft à la réputation déjà bien entachée.

Alcool, racisme et harcèlement

Kilgore

Arrivé chez Blizzard en 2014, Kilgore est connu pour avoir présidé le groupe de buveurs le plus notoirement sexiste du siège d’Irvine en Californie. Selon les accusations, ce sont dans ces bureaux que les faits les plus graves ont eu lieu. Deux anciens employés déclarent avoir vu Kilgore toucher de manière inappropriée des collègues de sexe féminin au travail. C’est d’ailleurs au sein du département technologique qui dépend de Kilgore que se déroulent les « cube crawl », bizutages consistant à imposer aux nouvelles recrues de prendre des verres d’alcool toutes les demi-heures. Ils devaient ensuite ramper tel des vers d’un poste à l’autre. De nombreux débordements ont été rapportés lors de ces beuveries. Plusieurs femmes se sont plaintes d’avoir été harcelées, insultées. Certaines déclarent même avoir été victimes d’attouchements lors de ces « rituels initiatiques ».

Ce n’est qu’en 2019 que des mesures sont prises concernant la consommation d’alcool dans les locaux. Suite à la multiplication des « incidents » la direction édicte un maximum de deux verres après le travail. Cette nouvelle « réglementation » paraît plus que ridicule au regard des faits rapportés. Cela n’empêchera pas certains employés de venir au travail avec une gueule de bois, allant parfois jusqu’à vomir dans les poubelles des bureaux.

C’est aussi entre ces murs que des femmes allaitant leurs bébés dans une salle prévue à cet effet ont été expulsées afin que des réunions puissent y être organisées. À cela s’ajoutent les accusations de discrimination « raciale ». Une employée Afro-Américaine déclare avoir été critiquée sur son « langage corporel ». Une autre s’est vue obligée par son supérieur de rédiger un résumé de ses activités réalisées durant ses congés, chose qui n’a été demandée à aucun autre salarié. Sexisme et racisme une véritable double peine pour ces femmes de couleur.

Travail égal, salaire inégal

Parmi les chefs d’accusation que comporte la plainte il est aussi question de discrimination dans les rémunérations. La société traînait déjà la réputation de payer au lance-pierre. Il y a un peu plus d’un an, Bloomberg rapportait que de nombreux employés se plaignaient de leurs faibles salaires, certains avaient même adressé une lettre au président de Blizzard pour faire entendre leur mécontentement. Malheureusement à ce jour, aucune de leurs demandes n’ont encore été traitées. Désormais il ne s’agit plus de lettres de complainte adressées à un responsable mais bien d’une procédure judiciaire.

Le procès-verbal fait état de sept femmes déclarant gagner moins que leurs collègues masculins à expérience égale. Deux autres affirment que leur manager leur a dit de ne plus discuter de leurs salaires. L’une atteste, capture d’écran à l’appui, que son responsable refuse de lui fournir des informations sur les salaires prétextant le caractère confidentiel de ces dernières. Sauf que refuser de communiquer à ce sujet constitue une violation manifeste de la loi californienne.

Face à ses accusations, un porte-parole de la société répond que la compagnie s’efforce de payer tous les employés de manière équitable pour un travail équivalent. Il poursuit en affirmant qu’il y a eu des taux de promotion plus élevés pour les femmes que pour les hommes. La société aurait même doublé le nombre de femmes occupant des postes de direction dans le développement de jeux depuis 2016. Malgré ces déclarations Nazih Fares, employé de la société aux Pays-Bas de 2018 à 2021, affirme que la disparité salariale entre les sexes était un point de discorde pour les employés de Blizzard du monde entier :

« Beaucoup de mes collègues sont vraiment exaspérées ».

Même si la direction semble nier les faits, les fiches de paie, elles ne pourront pas mentir. Il ne fait presque aucun doute que le magistrat en charge de l’instruction exigera la divulgation totale des rémunérations et barèmes.

L’heure des comptes arrive

Comment est-il possible qu’autant d’injustices et de méfaits soit passés inaperçus auprès de la direction ?
Comment les responsables en charge à l’époque expliquent-ils leur laxisme ?
Durant les vingt-huit ans pendant lesquels il a dirigé la société, qu’a donc fait Morhaime pour protéger ses salariés ?
Dans sa déclaration, il atteste que pendant vingt-huit ans, il essayé de créer un environnement sûr et accueillant pour les personnes de tous genres et de tous horizons.
Alors comment explique t-il les horreurs qui se sont déroulées lorsqu’il était aux commandes ?

Autant de questions qui ne semblent pouvoir trouver leurs réponses que devant le jury qu’aura choisi l’état de Californie lors d’un procès qui s’annonce lourd de conséquences.

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