Au milieu des jeux d’action effrénée et des RPG aux terrains de jeux de gargantuesques, je confesse avoir une indéfectible affection pour les productions singulières. Et plus particulièrement pour celles qui affichent un univers original dont la direction artistique se teinte allégrement de poésie. Ce n’est pas sans raison que des titres comme The Witness ou Tunic m’ont charmé dès leur sortie ou que Shadow of The Colossus et Journey, pour ne citer qu’eux, ont atteint le statut d’œuvres culte à mes yeux. Chacun a pour lui de prendre place dans un monde fantasmé, à l’identité forte, dont les différentes composantes ont finalement bien plus à dire que les protagonistes eux-mêmes. Une forme d’art total, inaboutie certes mais qui touche tant aux sens, aux émotions qu’il ne s’agit plus de consommer un jeu mais bel et bien de vivre une expérience. Une expérience que Don’t Nod avait commencé à me promettre par l’intermédiaire d’un trailer pour le moins intrigant lors du Xbox Games Showcase 2023 et qui se révèle désormais comme une évidence après plusieurs heures passées à explorer leur prochaine production. Jusant avait jusqu’ici éveillé ma curiosité. Il a désormais toute mon attention.
Un monde inconnu
Débuter une aventure vidéoludique en ne sachant rien du monde qui nous entoure est, à défaut d’être original, une valeur sûre pour qui souhaite installer une ambiance mystérieuse. Une entrée en matière que Don’t Nod assume pleinement en nous plaçant dès l’intro de Jusant dans l’inconnu. Nous démarrons en effet notre histoire en pleine ascension d’une falaise, à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Et alors que Ballast, petit compagnon composé entièrement d’eau hésite à se révéler sur notre épaule, ce sont les éléments du décor qui intriguent.
Niché dans les hauteurs, creusé dans la roche, c’est un ancien village de pêcheurs qui semble nous accueillir. De ces parois de pierres se dégage contre toute attente une ambiance clairement portuaire. Des filets de pêche et des ancres maritimes gisent çà et là, des hublots habillent les portes des habitations et le raillement des goélands se fait entendre. Par quel miracle des carcasses de bateaux se retrouvent à plusieurs centaines de mètres du sol ? Où sont les anciens occupants des lieux ? Et pourquoi nous élevons-nous ? C’est à ces questions qu’il faudra répondre au fur et à mesure de notre progression.
La poésie comme grammaire
Pour trouver un sens à notre quête, Jusant oblige à observer. Pas de dialogue, pas de PNJ, ici c’est l’environnement qui nous guide. S’il n’est pas rare de trouver des reliques des précédents habitants de la région, qu’il s’agisse de correspondances privées ou d’articles de gazette, les décors fourmillent eux aussi de détails. C’est en les parcourant qu’on devine d’ailleurs l’organisation de la société et la structure de ce hameau définitivement original et unique. Les habitations, les lieux de rencontres, comme l’ancien restaurant, l’ancienne forge ou encore les boutiques de souvenirs, portent en eux les traces d’un peuple disparu et nous offre un théâtre vibrant : celui d’un village qui se raconte de lui-même.
Pour mettre en valeur ses environnements, Don’t Nod a fait le choix du Low Poly. Un Low Poly d’ailleurs très bien utilisé ici et qui confère au titre un caché tout particulier. Plus travaillé que dans la plupart des productions, il permet d’installer une atmosphère douce et apaisante. Jusant souhaite vous reconnecter à la nature, vous offrir une expérience en dehors du temps et sa direction artistique y participe assurément. Il y a du Ghibli dans ce monde et, pour peu que vous y soyez sensible, c’est une aura toute poétique qui vous captivera dans cette oeuvre.
Bien que les précédents occupants soient absents, les lieux ne sont pas vides pour autant. Les animaux sont nombreux et, même s’ils se font discrets, apportent de la vie en permanence autour du joueur. Les lézards se carapatent ainsi lors de votre approche, tandis que les oiseaux jonchées sur les corniches n’hésiteront pas à changer de perchoir en fonction de votre avancée. Mais la vie n’est pas que décorative car la faune et la flore sont essentielles pour mener à bien votre ascension.
Un level design Brillant
Pour servir ce voyage initiatique, souvent introspectif, Don’t Nod offre un gameplay atypique. Dans Jusant, l’escalade fait office de mécanique centrale. Chaque bras se contrôle indépendamment et permet de saisir ou relâcher les prises, rebords et autres petites bestioles auxquelles s’accrocher. Certaines serviront même de taxi gratuit pour vous permettre d’atteindre des zones hors de portée.
Si la prise en main surprend au premier obstacle, elle devient naturelle au bout de quelques minutes à peine. Les gâchettes permettent de gérer le grip tandis que le stick oriente nos membres dans la direction souhaitée. Bien vite, on s’aperçoit que tout est fluide et que Jusant touche une forme de flow constant jamais interrompue par une mort qui n’existe pas. Votre fil de vie est ici votre corde qui ne vous laissera jamais tomber. Littéralement.
Sa longueur n’est pas extensible à l’infinie et il faudra parfois faire preuve de jugeotte pour progresser entre deux zones. Des points de fixations intermédiaires, des pythons, peuvent être fixés aux parois afin de vous sécuriser mais aussi vous permettre de souffler entre deux prises. Vous récupérer alors un peu de stamina et pouvez profiter du moment pour admirer le panorama. Une approche qui permet à chacun d’évoluer au rythme qui lui convient, en empruntant les chemins qui lui paraissent les plus praticables et accessibles.
Quelques énigmes ponctuent également votre route. Rien d’insurmontable pour un adepte de la grimpette comme vous et il suffit d’utiliser à bon escient les éléments qui vous entourent ou vos quelques capacités. Sauter, prendre de l’élan, détacher des cordes : là encore tout se fait naturellement, sans que Don’t Nod n’ait jamais besoin de mettre de la peinture ostentatoire sous vos yeux. Les interactions se devinent parce qu’elles sont pleine de bon sens et que les environnements sont pensés pour. Et Ballast aura naturellement un rôle à jouer ici, lui qui peut communier avec la nature et la réveiller.
Verdict : Sous le charme de Jusant
Tout au long de mes deux heures de jeu sur Jusant, je n’ai cessé de me laisser porter par l’univers imaginé par Don’t Nod. Le mystère qui entoure notre pérégrination est des plus séduisant et la beauté de cette nature qui sert de terrain de jeu m’a fait écarquiller les yeux plus d’une fois. Je suis assurément sous le charme de Jusant et n’ai qu’une hâte découvrir la suite. Car pour l’heure, c’est un très beau potentiel que démontrent les développeurs de Life is Strange qui doit désormais être confirmé. Il faudra apporter de la variété dans les décors, dans les situations et surtout donner à notre ascension une conclusion qui soit à la hauteur du voyage.
Tous les ingrédients semblent présents pour faire de Jusant la pépite poétique de cette fin d’année et l’installer aux côtés de Journey. La marche est importante mais à la porté du studio parisien. Reste à Don’t Nod à ne pas lâcher prise et prouver qu’il peut surmonter les derniers obstacles.
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