Créé en 1997, Quantic Dream s’est fait connaître pour ses jeux à la direction artistique soignée et aux intrigues prenantes et immersives, dernièrement avec Detroit : Become Human (2018). À l’occasion de l’ouverture des nouveaux locaux de Montréal, les co-présidents David Cage et Guillaume de Fondaumière, accompagnés de Stéphane d’Astous qui dirigera le nouveau studio, ont répondu aux questions du media américain IGN.
Paris et Montréal, deux studios, un seul objectif
Quantic Dream fait partie de ces studios qui publient un seul jeu à la fois avec un long temps d’attente entre chaque nouvelle sortie. Pour David Cage, c’est la meilleure façon d’atteindre l’excellence dans l’innovation de l’écriture et de la réalisation d’un titre. Mais l’ouverture de la branche de Montréal, qu’il a voulue “de taille humaine”, ne signifie pas pour autant que cette méthode de travail va changer.
Avec cette inauguration, nous souhaitons à long terme rassembler les meilleurs talents, des personnes avec de l’expérience dans leur expertise, qui sont passionnées et qui aspirent à créer des jeux AAA innovants et ambitieux. Notre but n’est pas l’expansion ni l’accélération du rythme de travail, nous ne souhaitons pas faire de ce studio une “usine”.
Stéphane d’Astous confirme : pour lui, même si la planification est cruciale dans la production d’un jeu, il n’est pas question de couper la phase de développement en deux pour aller plus vite. Plutôt que de les considérer comme deux entités distinctes, il suggère donc de voir Paris et Montréal comme les deux bras d’un même corps. Et ces bras travailleront sur le même titre, un AAA encore non annoncé.
Notre prochain jeu est très ambitieux, et tout comme les précédents, nous le publierons seulement lorsqu’il sera prêt.
Sur ce projet, les détails se font rares. La formule phare du studio, au style résolument narratif, ne sera pas forcément au rendez-vous. Les développeurs se disent intéressés par de nouveaux genres, de nouvelles directions. Si Cage a su forger sa réputation autour de scripts denses et appelant à la réflexion, il n’a pas l’intention de se reposer sur ses lauriers et l’heure de la diversification semble venue.
Je crois qu’il y a d’autres manières de raconter des histoires prenantes que nous n’avons pas encore tentées, et j’ai hâte d’explorer ces nouvelles pistes. […] Il y aura une continuité dans nos intentions, mais nous souhaitons expérimenter de nouvelles choses. C’est ce que notre équipe aime, et c’est aussi, je pense, ce que les fans attendent de nous.
David Cage, le PDG de Quantic Dream
Le multi-plateforme et la next-gen, des défis anticipés
En 2020, Quantic Dream annonçait la fin de son partenariat exclusif avec PlayStation après 12 ans et de beaux succès derrière eux, confirmant ainsi une ouverture entamée l’année précédente. Pour autant, Cage se veut rassurant en expliquant que si le studio a optimisé ses créations pour l’environnement de Sony jusqu’ici, la conception s’effectue déjà sur PC en interne. Le challenge résiderait plutôt selon lui dans l’arrivée de la dernière génération de consoles, pour laquelle de nouveaux outils seront nécessaires. Il a bien entendu suivi de près la préparation et la sortie de ces consoles, ne tarissant pas d’éloges sur la Xbox Series X. Il n’y aura donc qu’un simple pas à franchir pour une adaptabilité maximale à toutes les machines visées lors des prochaines sorties.
Nous continuons à investir dans notre infrastructure… nous voulons en permanence renforcer notre département Recherche et Développement, qui comprend actuellement soixante personnes. Et notre capital va désormais nous permettre de concurrencer les meilleurs studios AAA du monde.
Cage étaye ces ambitions en énumérant quelques unes des dépenses récentes de la firme : un nouveau studio de motion capture, un autre pour la création du son surround 7.1 et un dernier spécialisé en photogrammétrie, c’est à dire à la pointe de la géométrie et de l’organisation d’éléments multiples dans un environnement 3D. De plus, l’accent sera également mis sur l’intelligence artificielle, un moteur de destruction dynamique, des environnements toujours plus interactifs, et des foules toujours plus grandes, ce qui n’est pas sans rappeler les séquences anxiogènes de Heavy Rain (2010) lorsque Ethan Mars cherchait son fils égaré dans un centre commercial ou une gare bondés. Enfin, le ray-tracing sera bien sûr mis à l’honneur et le PDG s’avère particulièrement enthousiaste à ce sujet, se référant au cinéma qui selon lui, fait de la lumière un véritable langage qu’il a hâte de pouvoir exploiter de manière similaire grâce aux nouvelles technologies de rendu.
Elliot Page et Willem Dafoe sur le tournage en performance capture de Beyond : Two Souls (2013)
Un pied dans l’édition pour mieux concourir à l’international
Quantic Dream annonçait en 2019 le début d’une activité d’éditeur en complément de son statut de développeur. Guillaume de Fondaumière voit donc l’ouverture des locaux québécois comme un moyen de se promouvoir en Amérique du Nord, et donc d’assurer une publication à l’échelle mondiale à ses titres internes aussi bien qu’à ceux provenant de tiers. Les conditions d’entrée de ces studios : créer des jeux innovants, originaux, qui “sortent du lot”. Et à la clé, du financement, la promesse d’une large distribution, et l’accès aux ressources et infrastructures de la firme aussi bien dans l’aspect créatif que technique.
Dustborn, développé par Red Thread Games, et la version Director’s Cut de Sea of Solitude du studio Jo-Mei sont déjà prévus pour être édités par Quantic Dream.
Dépoussiérer la culture d’entreprise pour un environnement de travail plus sain
En 2018, le studio faisait l’objet d’une enquête suite à plusieurs reports d’une culture d’entreprise toxique. La justice française a statué depuis lors et Quantic Dream a dû verser 7000 euros de dommages et intérêts à l’un de ses salariés, mais il n’en reste pas moins un souvenir qui peine à disparaître. Aujourd’hui, David Cage botte en touche adroitement lorsque le sujet est évoqué. Il s’appuie sur les investigations qu’ont pu mener le Conseil des Prudhommes, des enquêtes de journalistes indépendants et divers audits, ainsi que sur les dires de ses propres employés, aboutissant tous au même résultat : selon lui, les allégations sont infondées. C’est sans compter les conclusions de l’époque de sources telles que Mediapart et Le Monde, qui allaient dans la direction opposées. Mais il balaie du revers de la main ces accusations, puis il met en avant les procédures désormais mises en place dans la société pour assurer une ambiance sereine et une valorisation pécuniaire des effectifs.
Pour commencer, il rappelle que son personnel est issu de la diversité et que l’ensemble des salariés est actionnaire de la firme à hauteur d’un total de 10%, un avantage dont bénéficieront aussi les membres de Quantic Dream Montréal. Cage explique ensuite que divers outils ont été créés pour lutter contre la toxicité. Des représentants du personnel peuvent recevoir et traiter toute demande de manière anonyme, et des enquêteurs spécialisés, mandatés en externe, interviennent tous les ans. Concernant la nouvelle équipe québécoise, les service des ressources humaines localisé sur place aura pour mission de s’assurer que “tout contentieux en rapport avec l’ambiance de travail soit traité de manière rapide et professionnelle”. Enfin, tous les membres de l’encadrement suivront des formations à propos du harcèlement “pour être mieux préparés, pour mieux connaître et reconnaître ces incidents et pour pouvoir y réagir en conséquence, s’ils devaient se produire dans notre studio”.
Nous sommes particulièrement fiers de notre esprit d’équipe. Nos collaborateurs sont des passionnés, ils travaillent sous le spectre de l’amitié. Ils sont très attachés au studio, à ses ambitions, ses projets, sa culture de l’excellence.
En somme, Quantic Dream n’a pas chômé ces deux dernières années, qu’il s’agisse du développement de son activité ou de l’apprentissage de ses succès comme de ses erreurs. Et les regards vont désormais se tourner vers ce nouveau jeu dont la promesse a été faite, avec des attentes à son sujet qui seront très probablement à l’échelle des ambitions affichées par le développeur.
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