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Ubisoft : de nouvelles allégations soulignent “un mal plus profond” au sein du studio

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Au cours des dernières semaines, nous vous avons rapporté les différents témoignages de scandales et harcèlements sexuels au sein d’Ubisoft. Des dizaines d’anciens employés et d’autres toujours en poste ont donné de leur voix, suggérant que l’éditeur a passé des années à construire sa culture du travail sur une base de toxicité et de déni.

La firme française a rapidement réagi en limogeant plusieurs cadres exécutifs directement nommés par les victimes. Ainsi, Serge Hascoët, Maxime Beland, Tommy François et Yannis Mallat ont quitté l’entreprise. À cette liste, on peut ajouter le départ de Ashraf Ismail, directeur du prochain Assassin’s Creed Valhalla, qui faisait toujours partie de la société – démis de ses fonctions toutefois – jusqu’alors. Le statut et l’ancienneté de ces personnes au sein du studio témoignent de l’ampleur de la problématique à laquelle est confronté Ubisoft.

Le studio est clairement face à une crise culturelle sans précédent qui, au mieux, découle d’années d’ignorance ou, au pire, a été sciemment approuvée par la direction à tous les niveaux de l’entreprise. À la suite des premières accusations, Gamasutra est entré en contact avec plus d’une douzaine d’ex- et actuels employés de chez Ubisoft. Ces nouvelles allégations ne font que renforcer la première vague de témoignages : le harcèlement, l’homophobie, le sexisme, le racisme, l’intimidation et la manipulation sont omniprésents dans les studios d’Ubisoft à travers le monde.

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Ubisoft Québec : jugé “hostile” et “en proie à des personnes toxiques et abusives”

Là où les premières accusations étaient principalement destinées à la division française de l’éditeur, il est ici question des filiales étrangères, à commencer par la plus grande, Ubisoft Québec. La division canadienne est connue pour son travail sur la franchise Assassin’s Creed, plus précisément les épisodes Syndicate et Odyssey. Bien que Yannis Mallat – qui était à la tête des studios canadiens – ait quitté l’entreprise, il n’était pas le seul élément impliqué. En effet, plusieurs employés ont également cité le directeur créatif d’Assassin’s Creed Odyssey, Jonathan Dumont. Selon de multiples sources, Dumont est une figure abusive qui, à bien des égards, incarne bon nombre des problèmes auxquels Ubisoft est actuellement confronté.

Il ferait ainsi usage de sa présence physique pour intimider les gens en claquant les portes, tapant dans les murs, lançant des objets et a verbalement abusé des membres du personnel en utilisant des termes offensants et des insultes homophobes. Sa cible fétiche ? Les femmes.

Il est très narcissique et, dans l’ensemble, c’est un grand tyran. Il pousse régulièrement les gens à bout de leur santé mentale et tente de justifier son comportement en disant “c’est comme ça que l’on obtient des résultats”. Il fait divers commentaires misogynes et homophobes, et lorsqu’il est interpellé, il se défend en disant : “ma mère a quitté mon père quand elle a réalisé qu’elle était lesbienne, alors je sais de quoi je parle”.

Le comportement de Dumont est un secret de Polichinelle d’après les sources de Gamasutra. Des plaintes en interne ont bien été déposées à son encontre mais la direction ne lui a jamais proposé de solution concrète, si ce n’est de le forcer à s’excuser ou de lui dire de ne pas interagir directement avec le personnel de rédaction. Malheureusement, il n’est pas le seul coupable dans l’histoire. Hugo Giard, le directeur des quêtes de Gods & Monsters, serait du même acabit.

Il aime aussi faire pleurer les gens pendant les réunions, surtout les femmes. Je ne compte même plus le nombre de personnes qui ont quitté le studio parce qu’elles ne supportaient plus de travailler avec lui, que ce soit à des postes subalternes ou supérieurs. Personne n’a été épargné, et il continue à avoir des responsabilités malgré cela.

Il est aussi fait mention d’un producteur associé, Stéphane Mehay, considéré comme, exclusion faite de Dumont, “la cause principale du départ des employés”. Moins grave dans son approche – si l’on peut dire – il parlait volontairement en français pour ne pas être compris de tous et insultait ces derniers, pensant qu’ils ne comprendraient pas.

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Marc-Aléxis Cote, ancien directeur créatif d’Ubisoft Québec et actuel producteur associé, est l’un des autres noms à ressortir de cet article. Figure emblématique de la division québécoise depuis plus de dix ans, il est vu comme étant celui qui a laissé la toxicité s’installer. Il posséderait le pouvoir de “vie ou de mort” sur les employés du studio.

J’ai toujours eu l’impression qu’il assurait mes arrières, mais je savais qu’il ne s’avancerait jamais vraiment pour me défendre. Il était au courant de ce qui se passait avec Jonathan [Dumont] et Hugo [Giard] mais le travail se faisait et quand vous êtes un studio de près de 500 personnes, le départ de quelques mécontents n’a pas vraiment d’importance pour eux.

L’homme n’en serait pas à son coup d’essai. Comme le révèle l’article, il serait en effet particulièrement habile pour naviguer au sein du paysage politique du studio et userait de manipulation plus subtile pour booster sa carrière. Par exemple, l’une de ses tactiques favorites consistait à mettre les employés en concurrence les uns avec les autres en leur promettant les mêmes choses, ou en alternant constamment entre “le chaud et le froid” – en félicitant ses collègues un jour avant de les insulter le lendemain.

Il est narcissique et extrêmement manipulateur, et ne se soucie absolument pas de la santé des employés ou du studio lui-même tant qu’il peut continuer à gravir les échelons. C’est lui qui va habiliter, légitimer et même protéger les autres personnes toxiques du studio.

L’une des sources ajoute même qu’il aurait “une ligne directe vers Yves Guillemot et Serge Hascoët” lui offrant une forme d’immunité pour lui et ses pairs. Sa devise est d’ailleurs sans équivoque : “quoi qu’il en coûte”.

Une culture d’entreprise du “mâle alpha”

On aurait pu penser, à première vue, que le problème ne se limitait qu’à quelques individus. Néanmoins, le problème est plus profond et intimement lié à la culture d’entreprise du studio. En effet, toutes les sources font état d’une culture dominée par les politiques internes, le népotisme et l’intimidation.

Je pense qu’Ubisoft a une culture qui permet aux directeurs de la création d’être agressifs et dominants et ils l’encouragent à partir de la rédaction. Ils ont toujours choisi des personnalités masculines grandes, fortes et alpha pour diriger les projets et ils ont donc considéré l’intimidation et le harcèlement comme faisant partie du travail. J’ai toujours trouvé qu’Ubisoft avait du mal à licencier quelqu’un. Ils ne voulaient vraiment pas le faire. J’ai travaillé dans des endroits où les gens qui étaient grossiers, agressifs, ou même qui avaient des opinions trop arrêtées pouvaient se faire renvoyer, mais Ubisoft laissait les gens se débrouiller à moins qu’ils ne fassent quelque chose de vraiment mal en public.

Dans ce contexte, difficile pour un employé de se faire entendre. Vers qui se tourner ? Les ressources humaines ont été une option mais qui s’est rapidement révélée être infructueuse. Le constat est le même dans les autres divisions de la firme avec l’exemple d’Ubisoft Singapore. Plusieurs des sources à s’être confiées à Gamasutra constatent les mêmes travers : sexisme, racisme, harcèlement et abus sont monnaie courante.

D’après l’article, la “bro culture” (culture de l’entre-soi, ndlr) est imprégnée dans l’ADN du studio, qui encourage “des propos ou des comportements désobligeants envers certaines femmes”, avec des opinions sur le racisme qui sont ouvertement discutées durant le temps de travail. Il est fait mention d’une fresque “immense, presque grandeur nature”, illustrant la manière dont les esclaves étaient transportés vers les Amériques, trônant fièrement dans le bureau de Singapour pendant près d’un an. Malgré les objections de plusieurs employés, celle-ci a été jugée “décorative” et en lien avec le projet en cours à l’époque.

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Hugues Ricour, le directeur des opérations d’Ubisoft Singapour, a fortement participé à instaurer cet état d’esprit semble-t-il. Accusé de harcèlements sexuels par de nombreuses sources, il ciblerait régulièrement les femmes avec des propos inappropriés sur leur tenue vestimentaire. Pire, il irait jusqu’à les encourager à l’embrasser durant les évènements professionnels. Comme il semble être coutume chez Ubisoft, il n’était pas juste une brebis égarée. Effectivement, deux autres personnes agissaient également dans l’impunité la plus totale. Justin Farren, ancien directeur créatif sur Skulls & Bones, et Jordi Woudstra, ex-product manager du studio, sont de la même trempe. Le premier, se vantait de “baiser que des filles asiatiques” et de ne “jamais sortir avec une fille blanche”. Le second s’est fait connaître en touchant de manière inappropriée au moins une employée, après qu’elle ait expressément dit “non”. Dans les deux cas, les ressources humaines n’ont quasiment pas réagi : Woudstra a changé de bâtiment mais a pu conserver son poste et Farren n’a jamais été inquiété.

Plutôt que de prendre le taureau par les cornes, Ubisoft a toujours préféré enterrer ses sombres histoires pour éviter qu’elles ne s’ébruitent. C’est ce que raconte une ex-employée de la division québécoise qui aurait été harcelée par deux collègues. Après avoir remonté les faits auprès du service RH, il ne s’est – comme on pouvait le prévoir – rien passé pour les accusés. Peu de temps après s’être présentée, elle a été licenciée, estimant qu’elle n’était pas “apte” alors qu’elle avait passée avec succès son entretien de performance quelques semaines auparavant. L’éditeur a proposé un accord financier (lien) pour éviter qu’elle ne nuise à la réputation du studio. L’employée a déclinée la somme, la considérant comme du “chantage” et a quittée l’entreprise. Bien entendu, les deux accusés sont toujours en poste à ce jour.

Des ressources humaines complices et une situation qui n’est pas près de changer

Quand un employé a un problème avec sa direction ou un collègue, il se tourne vers la direction du personnel. Sauf que chez Ubisoft, ce dernier n’est pas un allié. Elle est même parfois l’une des causes du problème. Comme le mentionne Gamasutra, certains salariés parlent de “confiance brisée” et d’un manque total de soutien avec les ressources humaines. Les personnes travaillant aux RH répandraient même activement des rumeurs sur les employés.

Il n’y avait pas d’infrastructure adéquate pour signaler, et encore moins pour traiter les cas d’agression sexuelle, de harcèlement, de mauvaise conduite ou d’autres abus au bureau. Lorsqu’ils ont été critiqués pour le manque de recours officiel, ils sont allés jusqu’à dire qu’ils n’avaient rien en place parce que cela signifierait que “nous en avions besoin” et que ça ternirait leur image.

Alors, oui, publiquement Ubisoft donne l’impression de prendre conscience de l’ampleur de la tâche. Ils ont en effet publié un ensemble de mesures clés, qui inclut de passer par des consultants indépendants externes pour vérifier les accusations et le déploiement d’une plateforme tierce confidentielle où les employés peuvent signaler les abus. Ils se sont aussi engagés à réorganiser le service éditorial et transformer les ressources humaines. Yves Guillemot, le patron de la société, s’en est d’ailleurs défendu durant une récente séance de questions/réponses avec les actionnaires. Interrogé sur comment une telle situation a pu se produire, il a insisté sur le fait que des actions ont toujours été prises quand c’était nécessaire.

Chaque fois que nous avons été mis au courant d’une mauvaise conduite, nous avons pris des décisions difficiles. Il est maintenant clair que certaines personnes ont trahi la confiance que je leur accordais et n’ont pas adhéré aux valeurs communes d’Ubisoft. Je n’ai donc jamais fait de compromis sur mes valeurs fondamentales et mon éthique, et je n’en ferai jamais.

Cependant, cette affirmation n’est pas tout à fait exacte, à en croire l’une des sources du magazine britannique. En effet, un ancien dirigeant d’Ubisoft raconte que Guillemot et son équipe les ont empêchés d’évincer un membre du personnel abusif parce qu’il était soi-disant “talentueux” et qu’il apportait plus de valeur à l’entreprise qu’il ne causait de dommages collatéraux. Lorsque le cadre a expliqué à la direction d’Ubisoft qu’un tel modèle n’était pas viable, ses remarques ont été ignorées.

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On veut bien croire que Guillemot n’avait pas connaissance de tous les agissements au sein de sa société. Pour autant, son affirmation suggère qu’il était prêt à mettre sur la sellette d’autres employés pour protéger les talents d’Ubisoft. D’ailleurs, cela soulève un autre point. Ces nouvelles allégations contre des employés clés de l’éditeur sèment, en effet, le doute sur les propos de Guillemot qu’Ubisoft a “pris des décisions difficiles” à chaque fois qu’ils ont eu vent de mauvaises pratiques. Bien entendu, ce n’est pas le rôle d’un président de s’occuper de chaque cas d’abus dans l’entreprise. Pour autant, il y a fort à parier que les cas les plus graves soient remontés jusqu’à ses oreilles. L’ancien dirigeant a un avis bien tranché sur la question.

Le changement doit commencer par des excuses personnelles du PDG de l’entreprise, car il doit en assumer la responsabilité. Je n’ai pas vu de mea culpa, le simple fait de blâmer les autres n’est pas le signe d’une réelle intention de changement. Les comportements toxiques n’ont pas été encouragés, mais le fait de ne pas agir de manière forte ne fait qu’aggraver le problème au fil du temps.

Jill Murray, l’ancienne directrice de la conception narrative de la division québécoise, estime que la société doit entamer un processus complet, ne laissant rien au hasard. Selon elle, Ubisoft doit être prêt à identifier ses propres lacunes et à y remédier, en s’assurant que personne – quel que soit son statut – ne soit plus jamais irréprochable.

Le véritable changement chez Ubisoft doit se faire de bas en haut et de haut en bas, et il doit être transparent. Donner du pouvoir aux employés. Retirer les cadres du statu quo. Yves Guillemot ne peut pas prétendre vouloir le changement, alors qu’il installe son cousin [Christophe Derennes] comme PDG à Montréal.

On ne peut que lui donner raison tant ce catapultage d’un membre de la famille Guillemot ne transmet pas la meilleure image. Elle poursuit encore plus loin, concernant l’aide extérieure que l’éditeur a choisie :

Par souci de transparence, n’engagez pas de cabinets d’avocats anti-syndicat comme Relais pour s’occuper des enquêtes externes. Ne faites pas signer des accords de confidentialité aux personnes qui signalent des abus. Cherchez sérieusement à découvrir les problèmes les plus profonds. De nombreux critiques et anciens employés sont en mesure de leur fournir des informations importantes. Invitez-les à entrer. Payez-les pour leurs services s’ils ont encore de l’espoir et s’ils sont prêts à aider.

Ubisoft voulait certainement en finir au plus vite avec cette histoire mais il n’en sera rien tant qu’ils n’auront pas identifié jusqu’où vont les racines qui rongent la colonne vertébrale de l’entreprise.

Pour tous les articles autour des scandales chez Ubisoft :

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